26 juin 2024. Rédigé par Arts_sainement
La place Sturm devient la place Beatriz Consuelo, danseuse étoile de renommée internationale ayant fondé le Ballet Junior de Genève. Ce changement de nom est soutenu par Agenda 21 (1), service de la Ville de Genève chargé de la politique municipale en matière de développement durable. Ses activités s’articulent autour de quatre domaines dont l’égalité et la diversité. Ce changement de place s’inscrit dans la très réjouissante démarche de féminiser des noms de rue, afin de redonner leurs places aux femmes dans l’histoire et dans les espaces publics.
Le jeudi 6 juin, l’inauguration officielle de la place a eu lieu avec un discours d’Alfonso Gomez – conseiller administratif de la Ville de Genève en charge du Service Agenda 21 (2), un discours de Patrice Delay — co-directeur du Ballet Junior, une lecture de la biographie de Beatriz Consuelo par sa petite-fille et un discours d’Anne Davier, directrice de l’ADC et programmatrice de l’événement . Elle a alors expliqué que les performances de Foofwa d’Imobilité (fils de Beatriz-Consuelo) initialement prévues avaient été annulées car ce choix avait blessé des personnes et qu’elle le regrettait.
En effet, nous, Arts_Sainement, association œuvrant pour un climat sain dans les arts vivants, ne cautionnons pas ce choix de programmation. Nous avions, de notre côté également, été contactées par des personnes qui s’interrogeaient sur la présence du chorégraphe à cette occasion et nous avons donc tenté de rendre toutes les entités organisatrices de l’événement attentives aux questions que cette programmation pouvaient soulever d’après nous.
Selon le site de l’ADC les performances par Foofwa, place Beatriz-Consuelo” devaient avoir lieu en plus de celle de l’inauguration du vendredi 7 au dimanche 9 juin, toutes les heures de 7h à 19h ainsi que du vendredi 14 (jour de grève féministe) au dimanche 16 juin, toutes les heures de 7h à 19h..
Soit environ 72h de visibilité publique.
Un programme détaillé par heure est disponible sur le site du chorégraphe.(3)
Pour rappel, la compagnie Neopost, dudit chorégraphe, a été dissoute par son comité en décembre 2022. Selon le communiqué du comité de Neopost Foofwa, “En décembre 2021, la danseuse a toutefois ressenti le besoin de signaler au comité de la compagnie la teneur des moments de malaise qui avaient donné lieu à une médiation en 2019. Prenant très au sérieux cette nécessité d’une employée de lui signaler une souffrance vécue deux ans plus tôt, le comité a immédiatement diligenté une enquête externe auprès d’un cabinet spécialisé. […] Les conclusions de l’enquête rendues début mars 2022 ont révélé qu’une partie des faits incriminés était certes constitutive de harcèlement sexuel sur la place de travall au sens de la Loi sur l’égalité entre femmes et hommes, mais que le comportement fautif du choregraphe revetait un degré de gravité modéré. […] bien qu’initialement envisagé, le maintien de la compagnie, trop fragilisée par quantité de rumeurs erronées accompagnées de stigmatisations, s’est vite avéré impossible.”
Nous avons été alerté·e·x·s par le fait que Foofwa d’Imobilité a ouvert une nouvelle structure administrative en février 2024, 14 mois après la dissolution de Neopost, et qu’il allait se produire dans le cadre d’un événement soutenu par des institutions publiques et dans un contexte qui vise à prôner l’égalité. Arts_Sainement a voulu mettre en évidence que le contexte de cette inauguration était problématique dans les valeurs qu’elle représente et cela a soulevé beaucoup de questions. Nous nous interrogeons d’une manière plus globale et générale sur la manière et la temporalité de la reprise des activités artistiques pour un·e·x chorégraphe ayant dû faire face à des investigations pour des faits de harcèlement sexuel et nous pensons qu’il serait bien de réfléchir à ces questions de manière collective, ouverte et/ou transparente.
Nous nous réjouissons des nombreuses mesures qui ont été mises en place par la ville de Genève afin de garantir de meilleures conditions de travail et avons conscience que les appliquer et déconstruire tout un système va prendre du temps. Mais on est en droit de se demander que signifie concrètement la position de la ville, ou d’un lieu, lorsque l’institution fait appel à la notion de ‘tolérance zéro’ et qu’une telle programmation est toutefois rendue possible par son soutien.
Alors que la confidentialité des affaires et le silence qui en découle donnent systématiquement l’impression aux victimes et à l’ensemble d’une profession que les cas n’ont pas été traités, qu’ils sont minimisés, ou tolérés, nous avons encouragé les organisateur·ice·x·s de cet événement à se positionner publiquement face à l’inquiétude que ce type d’événement pouvait susciter. Nous avons appelé la ville, ainsi que l’ADC pour ouvrir un dialogue. Nous avons pu en effet avoir des discussions et ces institutions se sont montrées à l’écoute. Nous nous sommes positionnées afin que Foofwa d’Imobilité soit bien présent pour accompagner le public dans les archives de sa mère mais qu’il ne performe pas à titre personnel et nous avons proposé d’encadrer l’évènement avec une communication permettant d’ouvrir le dialogue sur les questions charriées par le retour du chorégraphe sur la scène.
Dans l’ensemble, nous avons observé un manque de cadres vis-a-vis de la portée symbolique d’un tel choix de programmation, et de la question plus générale des conditions de soutien et de retours, mais surtout d’un manque de positionnement public face à au questionnement que cet événement peut susciter. Nous pensons que l’ensemble de la profession devrait se rassembler au plus vite afin de mener des réflexions globales sur les questions de suspension et de retour pour ne pas sans cesse être pris·x·es au dépourvu et embarrassé·e·x·s par la gestion houleuse de cas particuliers.
A la suite de nos différents échanges avec l’ADC et la ville, une rencontre est en cours de planification pour discuter avec les différentes parties. Nous avions également contacté Foofwa d’Imobilité, fin mai, afin d’échanger directement avec lui, mais il avait répondu qu’il ne pourrait pas nous rencontrer avant la fin de son cycle de performances, le 17 juin, étant trop occupé d’ici là. Il est fort regrettable compte tenu de l’ampleur qu’avait pris la rumeur et la colère dans le milieu que cette rencontre n’ait pas pu avoir lieu plus rapidement. Arts_sainement défend depuis sa création la nécessité de donner la parole à toutes les personnes impliquées afin de ne pas être dans une démarche d’exclusion mais d’amélioration collective.
La veille de l’inauguration, l’ADC a décidé d’annuler les performances de Foofwa. Nous ne mesurons pas tous les éléments qui ont finalement fait pencher la balance vers cette annulation (il est notamment indiqué sur le site du chorégraphe que cette décision a été prise “d’un commun accord avec le Pavillon ADC”), mais nous nous sommes rendues à l’événement afin de soutenir cette décision, mais surtout pour en parler avec celles et ceux qui ne la comprennent pas.
En substance, au-delà des questions pénales, qu’est-ce qu’on entend par des politiques culturelles de « tolérance zéro »? Quelles sont les conditions d’octroi aux subventions publiques? Quelles sont les conditions d’une visibilité publique dans des lieux publics? En cas d’actes problématiques soupçonnés ou avérés, quelles sont les conditions de suspension et de retour?
Ces questions méritent d’être discutées plus largement afin que le milieu reçoive un message clair. Nous pensons que ce retour était précipité et que le contexte n’était pas adéquat mais nous devons problématiser ensemble cette question du retour, dans les plus brefs délais et au-delà de ce cas précis.
Arts_sainement se positionne depuis sa création contre une politique de l’omerta, et œuvrera toujours contre la silenciation et l’intimidation.
En effet, parce que toute une partie du milieu s’interroge sur le désintérêt apparent pour ces questions, nous tenions pour notre part à nous exprimer et à partager avec l’ensemble de la profession que ces questions nous tiennent à coeur, qu’il ne suffit pas d’appliquer des mesures préventives et de suivre des formations pour qu’un système tout entier soit révolutionné. Arts_sainement ne prétend pas avoir les solutions mais cherche à rassembler tous les intéressé·e·x·s vers des actions et un avenir plus engagé.
(1) https://www.geneve.ch/autorites-administration/administration-municipale/departement-finances-environnement-logement/services-municipaux/service-agenda-21-ville-durable
(2) Rapport des comptes de la Ville 2023, p.9, « Organisation des départements » : https://www.geneve.ch/document/comptes-2023-ville-geneve
(3) https://www.foofwa.com/production/occupassion/
